• Vogue de nuit

    -... l'esprit vient resserrons-nous! Nous commande Mademoiselle Shawartzgurd en me faisant un clin d'oeil qui me laisse à penser qu'elle ne croit qu'à moitié à ses talents médiumiques et à tout ce genre de manifestations.

    Nous sômmes une dizaine de personnes autour de la table, Dame Agnota Pristie, son époux somnolent, la baronne von Plombenheim, un comte italien barbu trés concentré qui lui masse le genou sous la table, sans doute pour aider à la venue de l'esprit, cet anglais original Lord Evil qui met son majordôme à sa table, deux sujets albanais qui pensent être là pour une partie de bridge, enfin un français à fine moustache que je soupçonne être celui-là même qui fournit Mademoiselle Shwartzgurd en ouvrages licencieux.

    -Viens à nous, nous t'appelons!

    A croire que ces suissesses ont une autorité naturelle car la table se met à trembler, pourtant la mer est d'huile.

    -Esprit dis-nous quel est ton nom? Insiste-t-elle.

    Et l'autre, j'entends l'esprit supposé, mais peut-être est-ce le comte italien manipulateur de genou? Mais non il a ses deux mains sur le meuble, et l'autre dis-je de commencer d'épeler son nom à coups brefs retranscrits par Mademoiselle Shwartzgurd:

    -... B... A...N...D...O...N...E...O...N...X...X...X...V...I...I... Bandoneon XXXVII ? Deux coups pour oui!

    -Pan! Pan!

    -Profession? Précise-t-elle avec une autorité de douanier.

    -P... H... A... R... A... O... N... pharaon c'est celà?

    -Pan! Pan!

    Nous voilà donc en ligne avec un pharaon, la farce est bonne mais je ne marche pas.

    -Que veux-tu nous dire ô esprit?

    Et alors là c'est un véritable déchainement, la table ne tient plus sur le sol tant l'esprit l'estoque, la libraire écrit sous sa dictée et nous livre enfin son recueil avec une réelle émotion:

    -Il dit... il dit que ce putain de raffiot de... de merle va... va couler.

    Le silence est unanîme.

    -Deux piques hasarde l'un des albanais.

    -Oh vous ça va hein, et toi je t'avais bien dit de ne pas emporter cette sâleté, oh mais tu vas me faire le plaisir de me foutre cette saloperie à la mer! C'est Dame Agnota Pristie trés emportée contre son mari soudain réveillé et quelque peu hébété.

    L'explication vient vite, je l'ai dit Sir Samuel Pristie est archéologue à ses moments perdus et lors de l'une de ses campagnes de fouille il a mis a jour en terre d'Egypte la dépouille d'un pharaon dans sa boîte à l'état quasi de neuf, le sus mentionné Bandonéon XXXVII de la vingt-troisiéme dynastie.

    Aprés l'avoir conservé quelque temps dans la cave de leur maison de campagne d'Highbury, à l'invitation d'une société savante américaine, il l'a embarqué à bord du R.M.S. Terribeule à fins de leur en faire don et ce sans en prévenir les autorités du bord, négligeant ainsi le paiement des taxes de bord et de douânes, qui en l'espéce pour un transport de pharaon en sarcophage et même en câle de quatorziéme classe sont fort élevées.

    Consulté par ces dames, je fais la réponse suivante:

    -Ma foi, mesdames, ce pharaon même retraité et en petite condition, n'en demeure pas moins un passager clandestin, je me vois dans l'obligation d'en informer notre commandant et vous encourrez pour de tels actes une amende assez importante.

    Dame Agnota Pristie, malgré les plantureux revenus que lui fournissent ses romans policiers est d'un naturel pingre et la séance terminée, elle me prend à part pour me proposer une petite transaction:

    -Ne pourrriez-Vous mon cher lieutenant et avec l'aide de mon imbécile de mari nous débarasser de ce personnage encombrant? 

    Je pése le pour et le contre, mon éducation m'oblige à déférer à la supplique de cette femme même si l'article 147 et 148 bis du réglement me commanderaient de dresser procés-verbal sur le champ.

    Nous nous retrouvons donc avec sir Samuel Pristie dans les coulisses basses et ronflantes du batîment, incroyable ce que nous pouvons transporter: moissonneuse-batteuse aussi bien que pédalo tout celà est patiemment rangé et nous n'avons point trop de mal à mettre la main sur le sarcophage égyptien que sir Sam, il a insisté pour que je l'appelle ainsi dorénavant, en toute familiarité donc, a enfoui dans une énorme malle de théâtre. Sous la profusion des voiles, costûmes et accessoires nous mettons à jour le sarcophage funéraire et nous l'ouvrons, non sans diifficultés.

    -Oooh! Nous exclamons-nous dans un unisson trés réussi.

    La boîte est vide! Pas plus de pharaon que de jeune première.

    -Quelqu'un vous l'aura barboté sir Sam? Hasardai-je sans plus de conviction.

    -Celà m'étonnerait, il a emporté ses cigarettes.

    Et cet homme qui m'a toujours semblé sensé jusque là de me détailler dans quelle intimité il a vécu ces dernières années prés de sa mômie:

    -... en fait il s'est "réveillé" lors du voyage de retour depuis Alexandrie, il supporte mal le bateau, le mal de mer associé sans doute à l'expatriation, les anciens égyptiens l'ont noté, ont une influence certaine sur les mômies, d'ailleurs regardez, il a rendu plusieurs fois, ici et là... et encore...

    Il me désigne de petits tas de quoi se dégage un remugle infernal.

    -... bien entendu je n' ai rien dit de cette "animation" soudaine à mon épouse, vous savez Bandonéon XXXVII est un trés brave garçon, nous avons tout de suite sympathisé, je lui ai offert des cigarettes, il y a pris goût, d'autant que celà calmait son mal de mer, arrivé à Highbury, je lui ai aménagé un entresol charmant chez nous, il est trés "plan-plan" comme vous dîtes en Belgique et tout se passait fort bien jusqu'au jour où Agnotha a décidé de mettre en vente Highbury Manor, il m'a fallu lui trouver un point de chute l'un de mes amis Howard Miller, un égyptologue réputé doublé d'un parfait gentleman m'a proposé de l'héberger dans sa propriété du New-Jersey. Ah comme je redoutais ce voyage...  

    De fait nous voilà avec un pharaon ingambe sur les bras, si j'ose dire.

    -... d'autant qu'il est un peu dépressif...

    -Ma foi on le serait à moins. Ricanai-je.

    -... et quand il verse dans la dépression et le spleen il a tendance à user et abuser de ses pouvoirs qui sont redoutables et tout à fait exorbitants de notre pauvre loi commune d'humain. Alors vous imaginez sur un bateau, lieutenant ce que celà pourrait donner!

    J'imagine trés bien le pharaon contre la fée à moustaches, ce serait joliment intéressant.


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