• ...

    La minute de silence ayant été purgée, le commandant s'enquiert auprés du premier maître:

    -Le radio télégraphe fonctionne toujours?

    -A la perfection sir.

    -Fort bien vous télégraphierez à mon dentiste pour annuler mon rendez-vous du 27 courant. 

    Aprés quoi il convoque sur le champ l'ingénieur Carderond.

    Celui-ci se présente devant nous, mal éveillé, son bonnet de nuit sur la tête, le capitaine lui fait un compte rendu de la situation avant de lui demander:

    -Combien avez-vous prévu de canôts de sauvetage monsieur l'ingénieur?

    -De canôts? Quels canôts ? Et pourquoi faire des canôts? Vous savez aussi bien que moi cher capitaine  que le R.M.S.Terribeule est proprement insubmersible, pourquoi voudriez-vous des canôts?

    -Vous voulez dire qu'il n'y a aucun canôt de sauvetage monsieur l'ingénieur?

    -Non, je vois pas... à part le mien il y n'en a pas... hep mais où allez-vous?

    Les vingt-cinq officiers présents ont fait mouvement dans un émouvant unisson, notre commandant en tête:

    -Visite d'inspection ! Dit-il.

    Certes je ne dirai pas que nous précipitons, mais enfin tous ensemble nous forçons un peu le pas, c'est que sur les ponts inférieurs le niveau de l'eau devient préoccupant, oui cette visite d'inspection technique de la chaloupe à moteur de Carderond s'impose de plus en plus c'est l'avis commun.

    -Il y a un demi-pied d'eau dans la salle des machines mais on pompe. Annonce l'un des chauffeurs, trés sâle, remonté à l'air libre que nous croisons.

    -Fort bien continuez de pomper mon ami. Amusez-vous. Lui dit le Capitaine en lui chatouillant l'oreille avant de commander la manoeuvre de transbordement. J'en profite pour aller chercher mon vélocipéde, ce cher Bandonéon XXXVII  est sur son lit en train de fumer, je lui dis que tout va pour le mieux, je n'ai pas envie de le traîner comme ça pendant vingt-cinq ans et encore moins de le présenter à mon club comme il en a manifesté le souhait..

    Quand je reviens les vingt quatre officiers sautent dans la chaloupe en même temps et le capitaine Shmuts quitte le bord bien entendu le dernier, selon les meilleures traditions, non sans m'avoir recommandé:

    -Monsieur le second officier, cette visite d'inspection technique pouvant prendre quelque temps, je vous confie la marche de ce beau batîment. Détendez-vous et prenez du plaisir garçon... et n'oubliez pas bi britiche mais sans excés n'est-ce pas.

    Je demeure quelque peu étonné, par l'annonce de cette nomination inattendu, moi second officier du R.M.S. Terribeule, quelle bienheureuse nouvelle! Bien sûr la mauvaise nouvelle est que nous coulons.

    Je regarde la chaloupe à vapeur qui s'éloigne, l'un des officiers ayant malencontreusement, sans doute, lors des exercices de contrôle, largué les amarres qui la retenaient à notre batîment, à son bord mes camarades agitent leurs mouchoirs, c'est émouvant, on se croirait à mon anniversaire.

    Je me retourne et contemple l'agitation qui envahit les ponts, bien entendu ce n'est pas vraiment la panique mais enfin quelques farceurs tentent bien de déboulonner les cheminées, jettent des vieilles dames à la mer soi-disant pour alléger le batiment, courent avec une hâche d'incendie derrière les vaches et les chèvres de notre étable modéle qui fournissait du lait frais à nos passagers des première-classe, d'autres tentent de revendre des gilets de sauvetage ou leur jeune soeur au plus haut cours à ceux qui en sont démunis, bref je ne dirais point que le désordre régne à bord mais un certain relâchement oui sans doute oui, je croise même Mademoiselle Shwartzgurd portée par quatre robustes matelots qui me crie:

    -Notre rendez-vous est annulé lieutenant, on se téléphone ...

    Je sors donc mon revolver de service, un Webley de bonne race et tire quatre fois en l'air.

    Soudain c'est le silence, chacun de s'arrêter dans ses mouvements, je ne me connaissais pas une telle autorité, peut-être est-ce le vélocipéde que je tiens encore à la main qui me confère un renouvelé prestige?

    Je savoure cette plaisante minute où me voilà seul maître à bord, aprés Dieu sans doute, mais ma présence me semble malgré tout plus assurée que la sienne en cette minute.

    Je retrousse mes pantalons car l'eau continue de monter, le révérend Hooples me rejoint suivi de l'ingénieur Carderond, tout deux ont passé autour de la taille l'une de ces bouées à tête de canard dont il a fait lors de notre précédente escale une substantielle provision, prémonition? et qu'il distribue autour de lui à la moitié du tarif. Il m'en offre deux dont l'une pour mon vélocipéde, je ne lui fais pas l'affront de les refuser.

    Le vendeur allemand de gilets de sauvetage à côté de nous, nous accuse de ruiner le marché alors en pleine expansion de l'ustensile de sauvetage. J'ordonne de le faire mettre aux fers à la satisfaction de Carderond, débarassé d'un conccurent, et du Révérend Hooples qui décidément ne s'en lasse pas: des fers non plus que de l'autorité. 

    -El libertador a ordonné de libérer les prisonniers monsieur le second lieutenant. Me répond le premier maître.

    -El libertador qu'est-ce?

    Il me désigne Pump-Hurryman plus déguisé et emplumé que jamais qui vient à nous entouré de sa troupe trés renforcée d'irlandais à fourches et de français en caleçons.

    -Au nom du peuple je prends le commandement de ce navire! Déclâme-t-il avec une emphase et un accent que je ne lui connaissais pas.

    -Mon cher vous le prenez mais trés momentanément, car nous coulons. Lui rétorquai-je finement.

    Beaucoup plus grossièrement il me re-rétorque  que celà fait cinq heures qu'il a fait inverser les pompes de câle et arroser les ponts afin de faire croire à un naufrage et "faire fuir cette engeance maudite qui opprimait le peuple!" Je crois qu'il veut parler, en termes désobligeants de notre estimé et déjà regretté commandant. Il conclut sa diatribe tout à fait offensante par un menaçant:

    -Bon maintenant trouvez-moi des murs et fusillez-moi tout ça!

    -Enfin un marin qui montre quelque énergie! S'extasie le Révérend Hooples sans se rendre compte qu'il est avec moi, Carderond et la baronne von Plombenheim parmi les premiers désignés à l'ornement des sus-dits murs à fusillés.

    Je profite de la cérémonie de Baptême révolutionnaire: Pump-Hurrymanil rebaptise à grandes lampées de Téquila le R.M.S. Terribeule: Croiseur Révoluçion, pour sauter à l'eau.

    Geste quelque peu précipité sinon irréfléchi car en touchant l'élement liquide je me rappelle soudain que je n'ai pas la moindre notion de science natatoire. Vrai je ne sais pas nager et comble de malchance en me tirant dessus les sbires de Pump-Hurryman, commissaire de bord félon créve ma bouée qui se dégonfle dans un lancinant "pruuuiiiit!" tout à fait agaçant, j'ai beau mettre les doigts sur les trous, mais sans résultat probant, soit il y a trop de trous, soit je n'ai pas assez de doigts... bref la situation en deviendrait presque préoccupante...  


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :