• Le 7-7-1911. "Iceberg à babord! Iceberg à tribord!" Annonce l'officier de quart, qui n'est pas Brian O'Brien puisqu'il a été mis aux arrêts aprés ses éclats de la veille.

    -Oui, bon on le saura. Marmonne notre estimé Commandant en tripotant son unique boucle d'oreille, il a perdu l'autre et celà lui fait une physionomie quelque peu boîtante, à dire le vrai  il ressemble au pirate Morgan sortant de chez sa couturière.

    Bien entendu tous nous cherchons la boucle perdue, à tribord, babord, bref sur tous les bords. Mais point de boucle et celà le rend chagrin, presqu'autant que la présence de Pump-Hurryman. Il ne quitte plus la cabîne de commandement, fait des réflexions désobligeantes, des remarques grossières et va même jusqu'à donner des conseils de navigation :

    -'oyez moi j'aurais mis un petit coup de mieux à babord! Des fois qu'on frotte le gros là!

    -Ecoutez monsieur le commissaire de bord, je fréquente des icebergs depuis mon plus jeune temps et je n' ai jamais comme vous dîtes: "frotté" l'ombre d'une seul!  Notre commandant s'emporte, ce qui est rare chez lui.

    Pump-Hurryman débouche une bouteille de Téquila, sa troisiéme au moins depuis ce matin. Il ne boit que celà, se gratte la barbe, fouille dans son caleçon, car maintenant il se proméne partout en caleçon toujours escorté par sa petite bande, une dizaine de clandestins sud-américains qu'il a grâciés, équipés, armés et qui le suivent partout quand ils ne le précédent pas de leurs regards insolents et de leurs armes menaçantes.

    -Iceberg à tribord! Iceberg à...

    -Hay una cantina senor commissario Pumpito! Gueule l'un de ses sbires . 

    -Ah non nous n'allons pas encore nous arrêter! S'exclame notre commandant, qui on l'aura remarqué ne s'est jamais exclamé jusque là, c'est dire son irritation.

    -'ma faute si vos imbéciles ont pas embarqué assez de Téquila!

    -Je vous en prie Pump-Hurryman, un peu de respect pour le personnel de bord!

    Je comprends l'irritation de notre commandant, autant ces établissements peu connus du grand public mais qui scandent les routes maritîmes sont quelques fois d'un réel réconfort moral pour le navigateur solitaire au long cours, autant de les fréquenter avec une telle assiduité me paraît une réelle incongruité pour un batîment de notre classe. Sans compter qu'ils sont le plus souvent mal fâmés et d'un entretien déplorable. J'ai moi-même contracté une pénible affection lors d'une hâlte dans l'un de ces "bouics" quand j'étais jeune aspirant neuviéme officier sur le vapeur "Lacrymonia".

    Celui-là est un vieux cargo mexicain que les tenanciers ont amarré à un iceberg assez plat où ils ils ont érigés une tônnelle, certes celà pourrait être charmant, mais au bord de la Loire, point en plein atlantique! Et puis il y a cette musique mexicaine à base de mariachis mal rasés et ces filles à peu prés nues (malgré le froid) qui dansent et se tortillent au son des guitares.

    Déplorable, vraiment!

    Malgré tout et sur l'insistance menaçante de Pump-Hurryman et de sa clique nous mettons une chaloupe à l'eau et en compagnie du Commissaire de bord  indigne et d'une douzaine de milliardaires qu'il a pris en ôtage afin d'assurer son retour, nous accostons à la Pension y cantina Hermanos y Gomez, c'est l'enseigne du lieu.

    Nos compagnons trouvent l'endroit "pittoresque" et "inattendu en plein océan un tel établissement" le marin que je suis est il est vrai un peu blasé. Le tenancier lui comprend qu'il tient là une bonne part de sa recette du mois et en allant me laver les mains et me rafraîchir aux lavatorys  je le surprends à uriner dans les bouteilles de champagne afin de regarnir prestement ses stocks.

    A mon retour la Baronne Broczxczowski des Brasseries... du même nom me propose une coupe:

    -Leur champagne n'est pas mauvais, juste un peu sucré.

    -Le pauvre homme! La fatigue sans doute devant l'affluence.

    A ce moment entre un officier allemand de la marine impériale, je ne sais ce qu'il faut en penser mais j'ai toujours trouvé agaçant cette manie qu'ont les prussiens de garder leurs éperons même quand ils servent à la mer. Celui-là fait beaucoup de bruits et celà attire l'attention de notre commissaire de bord et de sa clîque de naufrageurs.

    En nous apercevant attablés il vient à nous et se présente:

    -Hardthmut von Plombenheim 14° officier adjoint sur le cuirassier lourd "Der Gross Malher". 

    Malgré la considérable différence de grade, je lui fais bon accueil:

    -... Plombenheim? Seriez-vous parent avec la baronne  von Plombenheim?

    -Ya wohl. Je suis son neveu adjoint.

    Ce garçon est charmant et il parle un anglais décent avec un trés agréable accent poméranien. Il nous explique que le cuirassier lourd "Der Gross Malher" est mouillé un peu plus loin et qu'il ait venu faire quelques emplettes pour son commandant le sur-amiral von Shluckt.

    -... l'épicier tunisien au coin du 50° paralléle était fermé heureusement celui-là est ouvert.

    Nous échangeons ainsi quelques propos de marin, quand je remarque les regards envieux que jettent sur les éperons dorés de l'allemand, Pump-Hurryman et ses acolytes.  

    -Bien... voilà, voilà, nous n'allons pas tarder, nous avons un record de la traversée à battre n'est-ce pas monsieur le Commissaire? Dis-je avec quelque arrière-pensée.

    L'allemand sort alors de son gousset une magnifique montre en or incrustée de brillants, la consulte, fait un rapide calcul:

    -Oh vous avez bien marché, malgré votre faux départ! Il vous reste 16 heures d'avance sur notre paquebot de bataille "Kronprinz Marzel" qui est parti de Hambourg un peu aprés vous. 

    Il est diablement bien renseigné. Sa remarque me fait souvenir de ce Zeppellin qui nous a survolé quelque temps, un peu aprés notre second départ. Les allemands nous surveilleraient-ils?

    Soudain c'est une étonnante et virulente mêlée, je suis précipité à terre par la bourrasque qui a renversé notre table et quand je me reléve, je ne peux que constater que l'officier allemand git ligoté et dévêtu sur le plancher de la cantina, tandis que Pump-Hurryman et ses complices se partagent ses dépouilles jusqu'à ses bottes. 

    Dans la barque qui nous raméne à notre bord je ne peux contenir plus longtemps ma colère et j'apostrophe notre pitoyable commissaire alors qu'il boit sa téquila à même la bouteille en contemplant son butin personnel: la montre et les éperons de ce malheureux von Plombenheim:

    -Savez-vous sombre idiot que vous venez de commettre un acte de piraterie toute pure et que les allemands seraient en droit de nous poursuivre et de nous chatier sans prendre avis pour celà! 


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