• 6.04.1911. J'ai passé une nuit difficile,il faut dire que j'étais de garde de 4 à 8, le cher Humpster-Dumpster ayant pris un repos bien mérité aprés 57 heures de veille ininterrompu, je l'ai dit ce garçon est un angoissé mais  nous avons enfin pu le raisonner et le conduire jusqu'à sa couche. Bien que placé dans le nid de pie sur ordre du douziéme officier, Brian O'Brien, un garçon un peu trop énergique, exagérément irlandais que je ne devrais d'ailleurs pas tarder à supplanter selon les confidences de notre commandant qui ne l'apprécie guère et le tient pour "un rustaud, un paysan peut-être mais sans doute pas un marin!". Il faut dire que cet imbécile a proféré quelques commentaires désobligeants sur les tenues saumonnées de notre estimé commandant. 

    Me voilà donc perché à imaginer ce que serait ma vie de douziéme officier, mes émoluments évolueraient en conséquence et je pourrais sans dommages m'offrir quelques gratifications intîmes tels que... des freins sur mon vélocipéde. Certes la hauteur vous fait voir les choses et les êtres avec une certaine philosophie et malgré la température fort basse, bercé par de si douces espérances je me laisse aller à une légére somnolence qui ne dure guère plus d'une heure ou deux. 

    Quand je me réveille je découvre avec surprise que nous sômmes entrés dans les premières glaces, c'est un spectacle émouvant que ces blancheurs érigées par quoi nous naviguons avec adresse, car il est de la première prudence que de les éviter. Le second Hugh Uppontime m'a bien recommandé de lui signaler toute présence un peu trop considérable qui pourrait entraver notre route, ajoutant que son parfum préféré pour les glaces était la pistache, c'était un trait d'esprit aiguisé avec les moyens du bord qui chez lui sont assez limités. Passons.

    Pendant un temps j'observe les icebergs, spectacle bien vite lassant, aussi trés vite je me tourne vers le bateau pour en contempler les restes de vie nocturne, la lune est pleine et elle éclaire notre marche aussi bien que les ponts du batîment. Je m'interroge quand même aprés la suite d'événements que j'ai vécu, faut-il accorder quelque crédit à tous ces passagers qui au Havre ont quitté notre bord en déclarant que le R.M.S. Terribeule était un vaisseau maudit. J'en suis là de mes réflexions lorsque j'ai la surprise de découvrir le Révérend Hooples au pied de mon nid de pie, je lui fais signe de monter. Il montre une belle agilité pour un homme de prière.

    -Dieu comme l'air est bon à ces hauteurs!

    Nous nous retrouvons un peu à l'étroit mais sa présence m'est bienvenue. Trés vite il commence à bénir les icebergs, on croirait un missionnaire dans la jungle, il convertit à tout de bras ces grandes masses hautaines.

    -On ne prend jamais trop de précautions garçon. Si nous avons à vivre parmi eux quelque temps autant bien les disposer et les mettre de notre côté.

    Serait-il à son tour pris par cette sorte de folie qui a saisi notre bord et qui fait des furieux de caractéres calmes. Inquiet je vais pour l'admonester et le rappeler à une certaine raison lorsque j'aperçois accoudé au bastingage le pharaon... mais si comment déjà? Le souvenir d'Egypte de Sir Samuel Pristie. Il fume tranquillement une cigarette en regardant les flôts. Je ne rêve point d'ailleurs le Révérend Hooples l'a remarqué lui aussi, il faut dire que sa coiffe et sa tiare dorées sont fort visibles:

    -Dîtes-moi lieutenant voyez-vous ce que je vois?

    -Euh ma foi... il me semble... une personne déguisée... oui, oui, je connais,  en effet il y avait bal masquée dans la troisiéme classe...

    -Ah c'est celà! J'ai croisé tout à l'heure un homme masqué en collant noir qui s'agitait furieusement avec un chalumeau dans l'une des câles tribords où j'étais allé chercher du matériel pour l'office.

    Les câles tribord... oui celles de... droite donc... mais c'est là-dedans que l'on consigne dans les fers les personnes suspects! Mon Dieu il aura donc délivré nos prisonniers, voyons si je fais un rapide compte, qu'est-ce que nous avions en stock: quelques pickpockets, deux ou trois assassins, la réserve personnelle du Révérend Hooples... bah nous verrons bien, en bas les choses se gâtent, en me penchant à nouveau, je découvre avec stupeur ce... cette... cette chose... ce pharaon Bandonéon je ne sais combien qui s'agite au pied de "notre" nid de pie, il est évident qu'il souhaite venir nous rejoindre et contempler la vue. Je lui fais signe que non, mais le Révérend Hooples l'aperçoit à son tour et me dit:

    -Je crois que votre ami voudrait nous rejoindre, lieutenant.

    -Non, non... impossible... interdit aux civils... strictement... le réglement...

    -Il ne va pas comprendre que je sois là alors, c'est du favoritisme... ah d'ailleurs il n'a point attendu votre accord... il monte...

    Mon Dieu! Il monte même avec un bel entrain et il a vite fait de nous rejoindre, et celui-là est autrement plus encombrant que le révérend et puis comment dire il sent, dame une mômie! Malgré tout l'apparat qui lui reste il faut bien avouer qu'il n'est plus trop présentable. Bien heureusement le révérend Hooples est homme bien élevé:

    -Ah ah trés réussi le déguisement garçon! Le félicite le révérend.

    Bandonéon XXXVIII ou XXXIX..., je ne sais plus tant le trouble me gagne, nous offre des cigarettes, des égyptiennes à bout doré bien sûr. Il est visible que lui aussi a reçu une fort bonne éducation convenons-en, si seulement il pouvait puer un peu moins.

    Je ne sais trop à quoi nous ressemblons, tous trois ainsi serrés en haut du mât mais je préfére ne pas l'imaginer. Aprés quelques temps je me dois de constater l'inanité de sa conversation en même temps que la parfaite immobilité de mon compagnon, ces égyptiens anciens savent garder une certaine tenue, à preuve il pue moins, ce dont je lui sais gré, mais le Révérend Hooples me fait remarquer:

    -Votre ami est en train de geler sur place.

    C'était donc celà l'explication de son silence et de sa retenue olfactive, il faut dire qu'il est assez peu vêtu, sous ces latitudes il n'est pas trés raisonnable ni décent de sortir en... bandelettes, dans un sens sa rigidité pourrait être propice à mes projets, aprés tout  nous étions tous bien décidés à nous en débarasser n'est-ce pas et je ne suis pas d'une nature à renoncer. J'ai un peu de mal à convaincre le Révérend Hooples de m'aider à descendre notre ami pour l'aller coucher.

    -Mais lieutenant est-il bien décent de quitter votre guet alors que nous naviguons au milieu des glaces?

    -Quelques minutes, un petit quart d'heure, elles ne vont pas fondre, ne vous inquiétez pas nous les retrouverons à notre retour.

    Incroyable ce que ces terriens montrent de réticence et de prudence exagérée dés qu'ils se trouvent dessus un océan, nous autres marins savons estimer comme il convient ce qu'il peut y avoir d'emphatique trop souvent dans les humeurs de la mer et d'artificiel dans de supposés périls.  

    Nous transportons la mômie gelée sans grande difficulté, Bandonéon et quelques... a une condition physique de sportsman et fort peu de graisse, jusqu'à l'entrepont Z, tout à côté de la colonie irlandaise, l'endroit idéal pour une immersion, maintenant il me faut m'isoler. Je remercie le Révérend Hooples:

    -Sa cabine est à quelques pas, je vais prévenir ses compagnons.

    -Promettez-moi lieutenant de ne point vous attarder, n'oubliez pas que vous avez charge d'âmes et qu'une bonne part de notre destinée terrestre... ou maritîme est entre vos mains.

    -Pas la plus grande part convenez-en Révérend. 

    -Certes, certes.

    Il me quitte enfin, les choses se présentent au mieux, il ne me reste plus qu'à pousser cette... cette "chose" dans l'océan vaste et perpétuel, je me penche pour assurer la prise quand j'entends dans mon dos:

     -Hep vous là-bas! Z'avez vos papiers!

    Je me retourne et je découvre avec un sentîment d'horreur  ce petit Inspecteur de la Sûreté Nationale française, Chipota Barcosy ou quelque chose comme ça, celui-là même que sir Sam m'a présenté l'autre soir, il était alors à la recherche de cet insaisissable assassin ce Fantaltomas, à la regrettable réputation, depuis lors il ne semble plus trop s'y intéresser puisqu'il le laisse évoluer tout à loisirs jusque dans nos câles. Il préfére la fréquentation de notre commissaire de bord, cet imbécile de Pump-Hurryman, qui montre chaque jour une exaltation et un déréglement renouvelés. A eux deux et sur l'instigation du français ils ont fait placarder des affîches invitant tous les étrangers du bord à se faire connaître dans les meilleurs délais. Le révérend Hooples en a informé notre commandant, celui-ci a fait la remarque :

    -Celà risque de faire du monde et encore faut-il pour les reconnaître comme tels savoir de quel point de vue l'on se place, n'est-il pas vrai.

    -Ne pourrions-nous mettre le commissaire de bord et ce policier français aux fers commandant, oh par simple mesure de précaution et sans intention vexatoire.

    -Bah laissez-les donc s'amuser, s'ils veulent placarder, qu'ils placardent!

    En attendant le petit policier s'apprôche, une lanterne sourde à la main:

    -Je vous connais vous, où-est-ce que je vous ai déjà vu?

    -Sur ce batîment même, il y a un couple de jours.

    -Pas d'ironie ou je vous fous d'dans! Qu'est-ce vous transportez là? 'm'a tout l'air suspect...

    Il éclaire le cher Bandonéon et le reconnait pour ce qu'il est indubitablement:

    -Un cadavre!  


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