• Bal démasqué

    Mon cher journal (de bord) je ne sais plus quoi penser, c'est une telle précipitation d'événements contradictoires. Aujourd'hui, nous sommes le 8.4.1911, il était annoncé un grand bal masqué, c'était l'une des spécialités de notre commissaire de bord que l'organisation de telles festivités, à l'ordinaire il se déguisait en Roméo, et il était parfaitement ridicule en céladon bouclé et bondissant, aujourd'hui et comme tous les jours il est déguisé en desperado et il est simplement terrifiant, il toise les baronnets travestis en marquis et souléve les jupons de leur Pompadour. Je me rends auprés de notre commandant qui m'a fait appeler, toujours ces histoires de toilettes, quand j'arrive dans sa cabine, il se prépare dans son salon de bains:

    -Ne venez pas tout de suite, je ne suis pas encore prêt, vous allez pouvoir me dire votre avis, lieutenant.

    Pour me trouver une contenance, je feuillette quelques revues techniques posées sur une table: Packet-boat driving weekly et le Steamer's litterrary supplement où je découvre un article furieusement annoté intitulé: Fumbling across the ices  que l'on pourrait traduire en belge par "En tatônnant à travers les glaces." et qu'il a ponctué de "splendid ! et de "waooooh!"" tout à fait ingénus mais ce qui me glace soudain l'âme ne sont point ces commentaires d'amateur mais ce que mes yeux découvrent sur le lit du commandant et dont je livre ici le compte : un masque noir, une paire de ballerînes et un tricot de soie de la même teinte, enfin une paire de collants tout aussi sombre dont le fond est recouvert de tissu écossais. Dans l'instant et sans doute parce que mon encéphale d'ordinaire peu sollicité et médiocrement mécanisé est subitement comme électrifié, je comprends que notre commandant est en fait Fantaltomass l'insaisissable assassin!

    Trahi par l'émotion, je quitte la cabine et je bute sur Lord Evil et son domestique, à moins que ce ne soit l'inverse, qui se rendent au bal masqué des premières, ils se sont déguisés en Don Quichotte et Sancho Pança étant posé leur parfaite ressemblance on ne sait toujours pas qui fait le maître et qui fait le valet. Je croise aussi Dame Agnota Pristie qui se révéle être son époux sir Sam:

    -Un petit clin d'oeil à mon épouse, avouez que vous avez marché lieutenant?

    Mais je n'ai pas envie de plaisanter et je me réfugie dans ma cabine, malheureusement depuis que je coahabite avec ce cher Bando le lieu est devenu irrespirable aussi chaque nuit je dors dans un transat sur le pont et je me léve assez fripé et rafraîchi au matin, il fume sans trêve ses écoeurantes cigarettes égyptiennes et puis, et je le dis en toute amitié, il pue toujours autant. Je lui vole l'une de ses bouteilles de rye, il en abuse soyons franc, et me retrouve sur le quatorziéme pont au moment où passe le Révérend Hooples qui a revêtu une bure de moine pour l'occasion, il ressemble à Savonarole:

    -Comment vous trouvez lieutenant?  Je voulais savoir comment l'on se tenait là-dedans, savez-vous que c'est trés confortable! Eh bien quoi qu'avez-vous garçon? 

    Je me jette dans ses bras et lui raconte dans le détail ce que je viens de vivre avant que de conclure, dans l'hébétude où m'ont plongé l'alcool et les événements:

    -... révérend, je ne sais même plus qui je suis... aprés tout qu'est-ce qui me prouve que je ne suis pas en fait Brian O'Brien ou l'un de ces quelconques irlandais du huitiéme entrepont! 

    -Voulez-vous véritablement que je vous dise ce que vous êtes lieutenant!

    Il semble plus en colère aprés mon attitude qu'à cause de mes révélations, se mouche bruyamment dans la manche de sa bure avant de continuer:

    -Maintenant si ce que vous me dîtes là est vérifié pour le commandant j'entends, il serait préférable de le mettre hors d'état d'agir avant qu'il ne nous jette contre un iceberg un peu aiguisé!

    -Vous n'y pensez pas ce serait de la mutinerie? Imaginez que je me sois trompé, c'est ma radiation assurée du courrier des lecteurs du Times et de la fraternelle des anciens farceurs du collége d'Abburton.

    -Certes, certes, malgré tout il nous faut agir, sur qui pouvons-nous compter?

    -Il y aurait bien cet imbécile d'Humpster-Dumpster, il s'inquiéte tellement pour son bateau... et puis il y a ce cher Bando!

    -Bando? Ah oui votre... votre ami, je l'ai croisé tout à l'heure sur le onziéme pont il ne marchait pas tout à fait droit et il était déjà déguisé à onze heures du matin! Enfin il faut faire avec ce que nous avons, par exemple je serais bien saisi si nous arrivions à bon port... qu'est-ce que c'est que ça?Des passagers quittent donc déjà ce raffiot!

    Le révérend Hooples me désigne le transbordement délicat en train de s'accomplir par cable et haussière des domestiques d'un charmant jeune couple de Boston John et Viviana Pure, ils sont en voyage de nôces, ils ont fait venir leur yacht Luciferian de Boston et ainsi qu'il était prévu ils montent à son bord afin de terminer leur voyage de nôces vers les mers du sud. 

    -Ils sont charmants n'est-il pas révérend?

    -Ils ont payé moitié tarif alors? Me répond avec quelque aigreur le révérend Hooples. Joli souci d'économie.

    -Non pas répliquai-je avec ardeur tant ce jeune couple amoureux m'émeut, ils ont insisté pour régler le billet complet, il faut dire que le père du jeune homme est le banquier T-J. Ponderous.

    -Un homme de poids certainement! grince le révérend. Malgré tout ils auraient pu donner un autre nom à leur nid d'amour! 

    Je n'ajoute rien car le R.M.S. Terribeule vient subitement de s'arrêter. En plein atlantique et qui plus est en double file puisque le Luciférian nous borde, celà est peu commun et ne laisse pas de m'inquiéter, tout autant que la femme de chambre encore suspendue dans les airs et qui se demande ce qu'il se passe.

     Je vais aux nouvelles, avise le huitiéme maître d'équipage, rougeaud et furieux, mais ils le sont tous:

    -Que se passe-t-il? Une avarie aux machines?

    -Pensez-vous ce sont ces cons-là... comment déjà... les auteurs... parait-il qu'ils ont plus l'inspiration... voudraient faire un syndicat et je sais pas quoi... ah oui, ils veulent changer de classe, monter en septiéme classe...'des conneries quoi! 'te fusillerais tout ça moi! 


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