• Divertimentos

    Le 5-4-1911. Aujourd'hui, aprés la nuit et la journée d'hier tellement trépides, rien à signaler... ah oui nous avons une nouvelle voie d'eau à bab... tribord cette fois, à droite quoi, oui c'est bien celà: "main droite qui torche et salut= tribord" petit procédé mnémotechnique appris au Collége Naval. C'est en manoeuvrant dans le port de Saouchamptonne lors de notre deuxiéme appareillage que nous avons heurté une baleinière, nous avions pourtant la priorité mais les usages se perdent. Informé l'ingénieur Carderond, aprés de savants calculs, nous a confirmé que celà n'aurait point de conséquences notables. Quand même dans l'aprés-midi je l'ai croisé à la coupée revenant de courses. Il avait acheté une quantité invraisemblable de ces bouées à tête de canard, quand je lui ai demandé s'il comptait en faire un usage prochain, il m'a répondu que c'était pour ses neveux Wilson en prévision de la Saint Nicholas et qu'il n'y a avait qu'ici qu'on en trouvait de semblables. Je m'interroge. Ah mon cher journal de bord quelle lumineuse idée a eu notre estimé commandant de m'en confier la rédaction, il m'est un fidéle compagnon que je prends plaisir à retrouver le soir à la chandelle: les plombes ont encore sauté.

    La journée s'est passée en divertissements divers et spirituels, elle a commencé au quatriéme entrepont des première classe par un concours de divas de fort belle tenue entre la Callasmitas et la Castapiane, la Castapiane trop chargée, le commendatore Manguerinini a beaucoup grossi, et n'étant pas à son poids de forme a échoué de deux longueurs. J'ai perdu deux guinées. 

    Aprés quoi j'ai rendu visite à la colonie française des troisiéme classe, comme d'habitude ils me reçoivent courtoisement mais il m'est impossible d'aller plus loin et de pénétrer même à l'intérieur, à chaque fois je bute sur une espéce de délégué, leur représentant qui m'accueille en chaussettes et en remettant son slip, je les soupçonne d'organiser des parties fines, celà m'a tout l'air de forniquer dans tous les coins, recoins et couloirs derrière. J'en informe le commandant qui me répond:

    -Mais laissez-les donc se divertir. Dîtes-moi lieutenant vous qui avez du goût, qu'est-ce que vous pensez de ce petit haut en panne de velours, celà ne fait pas trop habillé pour le souper?

    J'en référe au Révérend Hooples qui est d'avis de mettre tout ce monde  à fond de câle.

    -Aux fers! Mon cher! Aux fers! Mais voilà aurons-nous assez de fers lieutenant pour la durée du voyage?

    De fait l'on peut se demander pourquoi accepter des français en troisiéme classe quand ils seraient si bien en câle avec les animaux, dans leur élément donc.

    Quelques messieurs des premiére classe tiennent absolument à organiser une chasse à cour. Le commandant consulté ne s'y oppose pas dans le principe:

    -Ma foi il faut que tout le monde s'amuse. Mais une chasse à quoi? s'interroge-t-il avec un rude bon sens.

    Pump-Hurryman propose une chasse au papiste, à l'irlandais quoi, comme il y en avait dans son enfance, il en parle avec une grave émotion, cet homme cache une réelle sensibilité sous des dehors un peu rustiques.

    Ses dehors parlons-en, depuis qu'il porte des cartouchières, il est notable qu'il intimide les passagers, l'escopette et le sabre qu'il porte au côté ne sont pas là non plus pour mieux les rassurer. Avec le petit inspecteur de la Sureté Nationale française il organise des contrôle d'identité sur les ponts supérieurs, Mrs. Randolph Galways des briquetteries et cimenteries Galways a passé huit heures en garde à vue pour vérification approfondie d'identité et son valet de chambre a été notoirement battu.

    J'y mettrais volontiers bon ordre mais en tant que treiziéme officier, mes responsabilités sont plutôt relatives selon moi, mais pour le second Hugh Ponetime elles sont importantes:

    -Treiziéme officier mais mon petit vieux vous êtes là pour nous porter chance et croyez-moi nous en aurons rudement besoin pendant cette traversée!

    De fait je me console en pensant que Humpster-Dumpster un camarade de promotion n'est lui que quatorziéme officier et je peux témoigner qu'il ne s'est jamais tellement porté bonheur au long de sa scolarité au Collége Naval.

    Souvent je passe quelque temps au salon de lecture, la bibliothécaire Mademoiselle Shwartzgurd, une demoiselle suisse charmante quoique un peu trop demoiselle me conseille dans mes lectures, je concéde que ma culture générale est comme en jachêre mais depuis quelque temps les livres qu'elle me destine me semblent quelque peu olé! olé! Je cite deux titres au hasard : La feuille à l'envers et Souvenirs d'un garçon de bain. Ils sont d'autant plus choquants qu' l'on n'y comprend rien et sont d'une complication désarmante. Je décide de m'en ouvrir à elle:

    -Je suis surpris Mademoiselle, je n'imaginais pas que de tels ouvrages fussent en dotation sur un batiment de la Red Star Line

    -Oh ils sont bien innocents lieutenant, tenez je viens d'en recevoir un trés bien illustré qui vous...

    -Puis-je vous demander quelle est leur provenance mademoiselle?

    -C'est un passager français de la troisiéme classe qui me les prête, un homme charmant.

    -Un français de troisiéme classe! J'aurais du m'en douter.

    -Allons lieutenant ne soyez pas si rigide... enfin pas maintenant, pas tout de suite j'ai encore du monde. Tenez voulez-vous que nous nous voyions ce soir chez Madame la baronne von Plombenheim, j'y organise une séance de spiritisme.

    -Vous... vous êtes médium Mademoiselle?

    -J'ai quelques dons savez-vous et puis une demoiselle de bonne éducation mais sans fortune doit savoir se débrouiller.

    Elle rit mais avec un accent anversois qui me surprend chez une suisse, surtout demoiselle.

    -Dame Agnota Pristie m'a promis de venir, ces choses-là la passionnent en ce moment presqu'autant que l'étude de la langue espagnole qu'elle a entreprise. Vous viendrez lieutenant?

    -Je... je ne sais pas... pas encore Mademoiselle, le service commande.

    Au moment où je la quitte elle me glisse un petit livre dans la poche, je parierais qu'il est lui aussi illustré.

    Je profite de quelque répit pour aller visiter les entrailles pour ne pas dire les intestins de ce batîment étonnant.

    La construction en fut confiée aux chantiers écossais Mac Duff & Mac Duff qui ont pour particularité d'être situés un peu en altitude, trés exactement sur l'une des collines au dessus de la Tyre que l'on nomme là-bas avec un peu de préténtion le Mont MacDonuts et qui n'a guère plus de 50 pieds de haut, malgré tout le lancement des paquebots  est rien moins que spectaculaire, d'autant que parti d'en haut, il doit pour arriver en bas, soit dans l'embouchure de La Tyre avec un brin d'éclaboussures , on l'imaginera, traverser la ville avec un réel entrain dévastateur, coutûme calédonienne immémorialement reconduite dans une bonne humeur entretenue à l'alcool de grains mais qui a quand même fait une cinquantaine de morts la fois dernière, il faut dire que ces braves gens avaient oublié qu'il n'y avait pas une seule mais deux mise à flôt le même jour puisque le sistership du R.M.S. Terribeule, le R.M.S. Alsolotofpipeule recevait lui aussi le baptême champagnisée. 

    Il faut avoir vu ces chaudières, chacune plus haute qu'une locomotive, coiffées de cheminées qui valent monument et ces hommes qui alimentent le foyer du progrés, progrés qui ne les a point oublié dans sa marche, à preuve ces douches permanentes qui les lavent du poussier et de la fumée... Renseignements pris auprés de l'un des chauffeurs, ce ne sont point des douches permanentes mais des fissures occasionnelles, bien entendu celà n'enléve rien aux mérites de tels travailleurs, oups ce qu'il fait chaud là-dedans! Je ne parle point des hélices qui étaient au nombre de cinq au départ, nous en avons perdu une on ne sait trop où mais il en reste quatre fidéles au poste et d'une vélocité prouvée à la mer. Les rats crevés eux-mêmes sont issus des meilleures élevages industriels et reçoivent une formation soignée m'a assuré Carderond l'autre soir. J'écourte ma visite officieuse auprés de tous ces gens industrieux non sans les avoir chaudement félicité, tous et chacun.

    -'d rien mon 'tit pôte... t'seras t'jours le bienvenu si tu viens a'c une boteille comme ça!

     Ce que ces gens peuvent boire c'est étonnant!

    Je me dépêche car je n'ai que le temps de passer un unifôrme propre pour me rendre à l'invitation de Mrs. Shwartzgurd, j'ai hâte de rencontrer à nouveau Sir Samuel Pristie et son épouse. En me déshabillant je découvre que l'opuscule illustré que m'avait offert la libraire a disparu au cours de mon périple ouvrier.


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