• Le bureau des fées

    Il était écrit que cette soirée n'en finirait pas, je pris mon vélo pour regagner ma cabine, le cher Humpster qui est insomniaque ayant accepté d'effectuer mon quart, il faut dire que ce garçon est un inquiet qui passe son temps à guetter de ses jumelles, pont, entrepont, sous-pont, sur-pont, passerelles, entours et alentours et ainsi qu'il le dit en paquebot quand il ne conduit pas il a peur, ma foi nous profitons tous de ces dispositions, y compris le second Hugh Ponatime qui lui fait toute confiance .

    -De toutes les façons mon cher Humpster, vous ne pouvez pas vous tromper New-York c'est toujours tout droit, en 20 ans de carrière je ne l'ai raté que deux fois et encore de fort peu! 

    Sans le vouloir, je me retrouvais à fumer un dernier panatella à l'endroit même où nous étions la veille avec sir Samuel Pristie. Je souriais, mentalement, à l'évocation de ses propos, auxquels j'accordais peu de foi.

    Aussi 'pristi quelle ne fut pas ma surprise, lorsqu'en levant la tête au moment où j'allais quitter les lieux, rassuré, j'aperçus une ombre bedonnante qui se déplaçait avec une adresse de chat paresseux ou trop nourri entre les cheminées, à sa première volte je vis avec horreur qu'il avait une piéce de tissu écossais  au cul de son collant noir.

    Sir Samuel Pristie n'avait donc rien inventé. L'homme se retourna tout à fait et m'aperçut, suprême défi, misant sur la distance et la hauteur qui nous séparaient, il releva son masque et me fixa de son regard, que je n'hésiterais pas à qualifier de magnétique, aimanté, une telle intensité oculaire que je fus pris d'une sorte de vertige psychique suivi trés vite d'un désordre intestinal tout à fait vérifiable.

    J'enjambai aussitôt ma bicyclette et pédalais avec une inspiration que je ne me connaissais pas et qui me propulsa vitement à l'autre bout du pont, j'avais oublié que l'engin était démuni de freins, une économie faite lors de la commande que je regrettais maintenant, et je basculais par dessus la rambarde du passavant et tombais.

    Celà dura quelque temps, par miracle quand je me réveillai de ma chute, je n'étais point entre les vagues mais dans les bras d'un épouvantail, j'avais atterri dans le champ de patates des irlandais, je levai les yeux, ils venaient à moi, en foule chantante, buvante et trinquante, accompagnée d'accordéon, sans doute avaient-ils eux aussi organisé quelque fête vôtive, n'oublions pas que c'est, ainsi que le dit le Révérend Hooples: "un peuple tout embarassé de saints", et je m'écriai, mentalement: 

    -Mais merde personne ne dort donc à bord de ce foutu bateau! 

    -Eh ben mon gars il y a mieux à faire ce soir que de peloter l'épouvantail! S'exclama un aimable géant roux qui m'aida à me relever. Oh mais tu t'es fait dessus mon gars! On va te trouver des chausses propres. 

    Les pantalons étaient trop grands et les bretelles sans élasticité aucune, sans compter que ces pantalons de jardiniers juraient avec mon joli spencer blanc mais enfin ils se montrèrent tous charmants. Ils n'avaient pas souvent la visite d'officier et quand Pump-Hurryman qui n'était que commissaire de bord se déplaçait jusqu'à eux il se faisait toujour précéder de quelques salves et coups de crosse.

    Ils me firent les honneurs de leur installation, ils étaient certes étroitement pourvus mais ma foi fort ingénieusement organisés. Surtout ils vouaient un cûlte quelque peu barbare à leurs traditions.

    J'avisai dans un recoin de la calle une espéce de comptoir fait d'une longue traverse en bois en équilibre sur deux tonneaux, trois vieilles femmes trônaient de l'autre côté.

    -Je prendrais bien quelque rafraîchissement, dis-je avec entrain, altéré et gagné par la chaleur ambiante. Quelque pinte de votre bonne bière Madame, s'il vous plaît.

    Le géant roux me prit par le col et me ramena vivement en arrière tandis que la vieille femme marmonnait:

    -On ne passe pas derrière le comptoir! 

    -Vous êtes fou on ne dérange pas les fées l'ami sans quoi elle vous jette un sort et vous pourriez bien remplacer l'épouvantail. Au départ c'était un marchand de lard de Dublin, mais il cherchait toujours à faire de trop bonnes affaires!

    Non, je ne rêvais pas, j'avais correctement entendu, d'ailleurs il prit le temps de me faire servir une pinte de bière chaude par l'une de ses accortes cousines et de m'expliquer que les irlandais, race nomade, ne s'embarquaient jamais, quelque soit la destination, sans une délégation de fées dûment assermentées.

    -Méfiez-vous surtout de la plus vieille, c'est une bretonne, elle était en visite chez sa belle-soeur, et elle a absolument voulu embarquer, elle est trés réglement-réglement!  

    A dire le vrai ces trois fées à moustache ne m'impressionnaient guère, peut-être avais-je trop bu, je profitais de l'absence du géant roux pour m'apprôcher d'elles, elles avaient repris leurs tricot, chose étrange elles tricotaient sans aiguilles le même ouvrage, une espéce de poule-over jaune et brillant d'une bonne dizaine de mètres de long:

    -Alors Mesdames le voyage vous plaît-il?

    La bretonne sans lever la tête de leur ouvrage commun répéta son antienne:

    -On ne passe pas derrière le comptoir!

    -Vous tricotez mesdames un tricot pour un géant hum! hum!

    -C'est pas un tricot c'est un canot pneumatique double paroi! J'ai dit pas derrière le comptoir, il nous emmerde ce con-là! Chabada ouah  les bretelles en bas et le cul sur la cheminée là-bas!

    De fait, et je peux en témoigner, je me retrouvais derechef perché tout au haut de l'une des cheminées, les pieds battant l'air et les bretelles en bas tout à fait comme prophétisé par la fée à moustaches.

    Un fort désagréable moment dans une aussi détestable postûre. Maintenent il s'agissait de trouver le moyen de descendre sans trop perdre en dignité et contrôle de soi. J'inspectais, d'un regard adroit et curieux et même pressant les alentours immédiats, je levais la tête enfin au moment où nous passions sous un pont, un trés grand, trés haut heureusement, pont de fer. Les plus observateurs marqueront qu'un tel monument malgré toute son utilité n'avait rien à faire en plein océan et je m'en fis trés vite l'observation. Se pouvait-il que cet imbécile d'Humpster plutôt que d'éxécuter la plus rectiligne des routes possibles telle que préconisée dans tous les manuels de navigation maritîme, nous eut pour ainsi dire "mené en bateau" en une circumnavigation autour du port de Saouchamptonne tout à fait hors de propos. Trés vite me parvinrent les échos d'un branle-bas sur le pont haut qui confirma ma conclusion, j'entendis la voix de notre commandant qui semblait avoir recouvré tout son impérium. Oh là la celà chantait  et je commençais de me réjouir de ma position dominante quand j'avisai deux minuscules bonshommes trés en dessous de moi qui me prirent à parti.

    -Dîtes don' vous là qu'est-ce v'us foutez là-haut! Descendez tout de suite!

    Le petit bonhomme ridicule s'exprimait en français parisien avec des accents autoritaires de gendarme corrézien. 

    Je levais les mains en l'air en signe d'incapacité.

    -'futez de moi, 'voyez pas l'échelle su' le côté!

    Il avait raison notre bateau était quand même joliment équipé.

    J'éxécutais la manoeuvre et me retrouvais assez vite en face des deux bonshommes, l'un n'était autre que sir Samuel Pristie en robe de chambre à brandebourgs et la moustache sous résille, bref encore en tenue de nuit, l'autre, je ne le connaissais pas. Il était court sur pattes, portait Cronstadt et bacchantes. Il profitait de l'autorité que lui donnait mon allure quelque peu ridicule, il me fallait en effet retenir le pantalon trop large qui me tombait aux genoux.

    -Oh mais c'est vous Lieutenant, mais qu'est ce que vous faisiez donc là-haut me demanda Pristie amical.

    -Visite d'inspection.

    -Vous avez une drôle de tenue d'inspection dîtes voir. Ricana le petit français détestable. 'longtemps que vous faîtes le perroquet là-haut?

    -Une petite dizaine de minutes sans compter le temps du vol.

    -Le vol? Quel vol? Et v'z'avez rien vu?

    -Il y avait à voir?

    Le petit français se présenta, il était inspecteur à la Sureté Nationale française et s'appelait quelque chose comme: Pipola Narcosie! Avec un point d'exclamation précisa-t-il comme dans "Halte!" "circulez!" ou "vos papiers!" 

    -A propos vous avez vos papiers!

    Sir Samuel intervint vivement en voyant les mauvaises dispositions de son compagnon à mon endroit:

    -Mais enfin le lieutenant est honorablement connu à bord, le commandant pourrait en témoigner même...

    -Les logeuses on les achéte avec le rond, je connais ça, papiers et vite!

    Je lui montrais ma carte de membre du Club des anciens farceurs du collége ancien d'Abburton qui supportait pour principal ornement ma photographie en barbe et portant fés qui lui sembla tout à fait réglementaire  car il ne lisait point l'anglais. 

    Ces formalités satisfaites Sir Samuel Pristie poursuivit les présentations:

    -Vous n'êtes pas sans savoir que l'inspecteur, qui est l'un des meilleurs policiers français, traque depuis des années, sans pouvoir le saisir, le fameux Fantaltomas l'insaisissable assassin , or il existe selon lui de fortes présomptions pour que cet être désolant soit à notre bord, j'ajoute que Mrs. Pristie a reçu ce matin une lettre de menace circonstanciée signé de ce monsieur et dans laquelle il se proposait rien moins que de la violenter avec force détails évocateurs, depuis ce matin elle ne me parle que de celà et ne cesse de m'envoyer en course aux quatre coins du batîment, il m'a même fallu me barriccader dans ma salle de bains une partie de la soirée, sans ce bienvenu steward bolivien je crois bien que j'y passais toute la nuit. 

      


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