• Toni Argoponte Edition Multimédia

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  • Nous sômmes donc le 3.4.1911, c'est ennuyeux au possible ces histoires de dates mais c'est parait-il important dans la tenue d'un journal de bord, nos instructeurs à l'école de la marine marchande insistaient bien là-desssus, soit:

    le 3.4.1911 Aujourd'hui grande partie de polo sur le quinziéme pont supérieur. Oh certes comme l'ont fait remarquer ces messieurs le terrain n'est pas aux dimensions réglementaires, il manque 15 pouces dans le large et et trente dans le long, mais enfin il faut faire avec . Quelle cavalcade!

    Malheureusement la balle s'est envolée à un moment, oh surprise, elle a atterri dans le champ de pomme de terre que les irlandais cultivent au seiziéme pont inférieur, fureur du Commissaire de bord Pump-Hurryman qui déteste les irlandais. Fureur réciproque des irlandais qui détestent le commissaire de bord Pump-Hurryman aidés dans leur révolte par quelques serveurs boliviens repéchés que nous avions avec Humpster cachés dans les chaloupes et qui ont ressurgi sur le pont comme des revenants. Echanges de coups de pieds, de poings, puis fusillade unilatérale, Pump-Hurryman trés fier d'avoir maté la révolte sans avoir fait donner la cavalerie:

    -Je vais en faire pendre quelques uns à la plus haute vergue!

    Il a fallu le raisonner et lui expliquer que le R.M.S. Terribeule symbole de la modernitude de l'empire ne disposait plus de vergue. Il en a convenu mais regretté la marine à voile.

    -... pour le côté décoratif

    Le calme est revenu, les irlandais ont emmené leurs blessés et sont retournés à leurs patates et les joueurs de polo ont récupéré leur balle, c'est à ce moment que le capitaine Smuth a débarqué sur le pont en tutu rose:

    -Qu'ç'vous en pensez, pour la soirée de ce soir. Je crois que je vais faire impression.

    Avec sa noble barbe blanche et sa D.S.O. (Distinguished Salacious Order?) il va faire impression, Dieu du ciel vers quoi allons-nous?

    Je n'avais pas plus tôt émis (en phonie sans doute) cette pensée que le Révérend Hooples débarque sur le pont et me prend par le bras, il parait fort troublé ce qui n'est pas son habitude:

    -Oh mon ami si vous saviez, eh pourtant j'en ai entendu, imaginez-vous que ce matin, il vient me voir un jeune garçon charmant, de petite condition certes mais trés propre enfin, il m'avoue qu'il est passager clandestin et réside dans une chaloupe...

    -Il est bolivien?

    -Non pas du tout pourquoi voulez-vous?... enfin il me dit qu'il a fait un rêve, quasi supranaturel qu'il s'est senti appelé et qu'il s'est trouvé une vocation...

    Je me dis que pourquoi pas aprés tout malgré ses origines modiques il me semble assez décoratif et sans doute ferait-il un assez honorable pasteur...

    -Oui mon révérend je veux devenir animateurtévé!

    Et il semble tout triomphant de m'annoncer celà, je m'enquiers, de quoi s'agit-il au juste:"Animateurtévé? Est-ce un ordre monastique? Vous êtes catholique mon fils?"

    -Non, non mon Révérend, je vais vous expliquer...

    -Et il m'explique la vision qu'il a eu, des sabbat bi-quotidiens, rapportés en chaque foyer, le cinématographe permanent, chaque soir de nouveaux spectacles dégradants, la bêtise et la stupidité régnantes et gouvernantes une vision de l'enfer mon cher enfant une vision de l'enfer, je l'ai arrêté ses yeux brillaient à l'évocation de ce pandémonium futur et il bavait comme un dément et je lui ai dit:

    -Mais vous vous voulez donc la ruine de notre civilisation garçon! Animateurtevé celà ne sera point, vous allez me faire le plaisir de vous engager dans l'armée des Indes et d'aller vous faire tuer comme un civilisé par quelque sauvage comme tout le monde! Mais que nenni il continuait de baver éloquemment alors j'ai demandé au second de me mettre ça aux fers!

    Ah mon cher enfant j'étais encore tout écumant lorsqu'arrive Pianna la niéce de Lady Puff et elle commence de m'expliquer qu'elle a fait un rêve cette nuit, qu'elle se voyait toute en rose en train de téléphoner à son petit doigt tout en repeignant de rose ses doigts de pied et un être de lumiére quoique un peu fuligineux lui est apparu et il a proféré d'une voix sévére et définitive: quant à toi... toi tu feras  pouffiasse ma fille!

    -Oh mon révérend c'est celà que je veux faire c'est pouffiasse!

    -Alors vous comprenez mon cher enfant la mesure était comble et hop aux fers avec l'autre! Je me demande si ce batîment n'est pas source de mauvaises influences. Mais maintenant il me faut éviter Lady Puff, je lui expliquerai plus tard quand nous serons arrivés la nécessité de cette mesure de sauvegarde, mais en attendant... tenez la voilà sans  doute cherche-t-elle cette petite sotte, à se revoir lieutenant, à se revoir.

    Le 4-4-1911 à deux heures du matin:

    La soirée donnée par le capitaine en l'honneur de Percy Bastord le roi des teintureries industrielles ne s'est point trop mal passée, certes le numéro du capitaine Smuth de danseuse voilée puis dévoilée en a surpris quelques uns parmi l'assistance, qui en réalisant que c'était là le seul maître aprés Dieu que cette danseuse sur pointes, ont voulu courir aux chaloupes, ce que voyant, Pump-Hurryman croyant à une insurrection générale des premières a armé les Bollinger, fait charger à mitraille les seaux à glace et commençait de faire manoeuvrer le 37° Groom de ligne, heureusement le cher Humpster a trés tôt compris la situation et sur son signal la grande cantatrîce Ponderosas Callasmitas a surgi du  fin fond du Wahalla et entonné quelques berceuses retentissantes de Herr Richard Wagner, semonces tonnantes qui ont permis le reflux effrayé du troupeau de milliardaires. De fait lorsque l'on est soumis à un tel organe l'on se retrouve trés vite dans la posture du papillon tétanisé que l'on vient de clouer sur le carton. 

    -Eh bien quoi ça a pas plu? Dîtes-le lieutenant que mon numéro ne vous a pas plu? M'a gueulé le Capitaine Smuth en confidence. Que voulez-vous que ces culs-là comprennent quelque chose à l'art de Terpsichore. Et puis quelle idée a eu notre second de vouloir absolument faire son numéro du pingouin péteur. 'pensez si je le connais il le tourne depuis le Collége  Naval de Porschtemoute, mais ce n'était pas le jour, il ne sent pas le public ce garçon!

    -Le public lui le sent. Mais bien au contraire sir, votre prestation de la danse des voiles est venue comme une brise rafraîchissante... surtout aprés le pingouin!

    -Bien garçon, vous ne manquez pas de jugement. Attention vous marchez sur ma traîne. A se revoir garçon.

    Aprés quoi Percy Bastord, rescapé du bombardement wagnérien quoique encore tremblant a fait un speech émouvant sur sa vie étonnante qu'il a conclu en portant un toast à... Percy Bastord qui est la personne qu'il estîme le mieux au monde.

    J'avais pour ma part trouvé refuge dans un petit groupe de personnalités diverses qui s'était rassemblées autour de Brian Carderond l'architecte naval universellement célébré qui a conçu le R.M.S. Terribeule, son chef d'oeuvre dit-il. Il explique par le détail en quoi l'achévement de notre science industrielle rend ce batîment proprement incoulable, il passe au tableau des menus de la salle à manger et trace à la craie une suite de formulations mathématiques et physiques qui me semblent... plausibles.

    -Notre vaisseau pourrait subir trois rotations complétes, trois révolutions sans autre dommage que de vider vos goussets messieurs!

    Chacun de rire jusqu'à ce que l'une des passagères lui demande:

    -Malgré tout mister Carderond chacun s'interroge sur le fait que vous ayez tenu à faire le voyage inaugural avec nous certes... mais dans une grosse chaloupe à moteur que nous remorquons depuis Saouchamptonne? N'est-il pas vrai?

    Il ne se démonte pas et dans un sourire répond:

    -Que voulez-vous my lady je tiens par dessus tout à mon indépendance.

    Faut-il être convaincu? Je me le demande encore.


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  • Le R.M.S. Terribeule's Memorial Institut of Winnabonga accueille toute contribution à la mémoire de la tragédie du 11-4-1911. Entrée gratuite/ Réduction pour les pingouins et les inscrits maritîmes.

    Rapports d'enquête et témoignages sur les causes de la tragédie disponibles à l'Institut:

    Rapport d'enquête de la Commission Sénatoriale Américaine:

    "... c'est Lee Harvey qui tout fait et il n'avait surtout pas de complices!"

    Rappport d'enquête de la Commission Presbytérienne Américaine s'appuyant sur le témoignage du Révérend Hooples rescapé du naufrage:

    "... par orgueil et par mégarde nous avons heurté l'orteil de Dieu!"

    Rapport de la Commission Technique Internationale des Incidents Maritîmes. Dernier télégramme envoyé par l'enquêteur délégué:

    "... différentes malfaçons relevées Stop certains panneaux de tôle remplacés par papier mâché insuffisament mâché Stop chantiers navals Mac Deuf and Mac Deuf mis en cause Stop non! non! tirez pas quoi merde Stop pan! pan! Stop !"

    Témoignage du Commissaire de bord Pump-Hurryman survivant:

    "... ces putains d'irlandais qui ont fait le coup!"

    Témoignage de Will O'Hara seul passager iralandais rescapé du naufrage:

    "Ce mec est dingue!!!"


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  • A noter que la seule cabine éclairée (à la bougie) est celle du capitaine Smuth, les plombs ayant sauté juste aprés le baptême du R.M.S. Terribeule.

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  • 2.4.1911.10 heures du matin: vent nul, mer calme, le capitaine Smuth dit avoir vu un banc de dauphins roses au réveil. Mrs. Vanderbolt des aciéries Vanderbolt s'est plainte au commissaire de bord Pump-Hurryman d'un serveur bolivien qui lui aurait manqué de respect, le commissaire de bord l'a sur le champ renvoyé.

    -Expliquez-moi don' un peu vieille chose comment vous voulez renvoyer le monde sur le champ alors... alors que nous sômmes au large? On a bien appareillé 's'pas? 'ç'qui me semblait... encore le pied marin le vieux singe... hum! Hum!

    -Oh mais c'est trés simple capitaine vous l'allez voir.

    Il nous a fait convoquer, nous les officiers de bord, sur le quatorziéme pont supérieur, ainsi que le serveur prétendument fautif quoique indéniablement bolivien qui ne se doutait de rien et il l'a propulsé dans l'océan, "vaste et rassemblé" comme dit le révérend Hooples, d'un coup de botte bien ajusté.

    Parce qu'il porte des bottes maintenant et ne se rase plus, il ressemble de plus en plus à un général vaincu de l'armée mexicaine, notre commissaire de bord.

    Je me demande si cet homme profitant d'un notable affaissement de notre estimé capitaine ne prétend pas à une autorité exagérée sur l'équipage et les passagers même.

    Avec le lieutenant Humpster nous avons eu le plus grand mal à repêcher l'amphibie bolivien et le cacher dans une chaloupe.

    -Quelle mâle énergie Pump-Hurryman! s'est exclamé notre capitaine un brin admiratif. Oh regardez joyeux compagnons une poule d'eau!

    Ce n'était point une poule d'eau mais Dame Agneta Pristie la grande romancière, la reine du mystère qui nous a fait l'honneur d'embarquer à notre bord pour une croisière de détente aprés son non-lieu dans l'affaire Burdalue:

    -No crime lieutenant today? M'a-t-elle demandé en anglais non sous titré comme chaque matin.

    Peut-être parce qu'elle me sait pour moitié belge, elle me montre quelque préférence.Cette étrange personne semble secrèter le crîme comme une humeur intîme, comme dit le révérend Hooples elle est un mystère d'encre. Elle se proméne partout, de pont en pont, avec toujours à quelques pas derrière elle, son époux sir Samuel Pristie, archéologue amateur, historien amateur, géographe, opiomâne et physicien amateur, amateur en tout même dans le mariage. Il escorte son grand tuyau comme un specimen rare et incompréhensible, il l'aime comme on apprécie une distraction utile, sa femme est son hobbie préféré.

    A ce moment passent Lord Evil et son majordôme, c'est l'une des attractions du bateau, ces deux hommes se ressemblent d'une manière étonnante. 

    -Selon vous lieutenant lequel est le bon? Me demande Sir Samuel Pristie en me prenant le bras.

    Devant mon étonnement il s'étonne:

    -Vous n'ignorez pas qu'ils sont cousins et plaisantins et s'amusent à se distribuer les rôles, un jour l'un est le valet, le lendemain il fait le maître, certains disent même qu'ils en sont arrivés au point de ne plus se connaître d'état. Futilités... mais je voudrais vous entretenir ...

    Il m'entretient en belge ancien, pour que sa femme ne comprenne pas notre conversation, il me raconte comment en revenant du théâtre la veille au soir il a aperçu deux silhouettes noires marchant à l'assaut des cheminées.

    -Sans doute des mécaniciens sir Samuel?

    -J'avais en poche mes jumelles de théâtre j'ai pu bien les ajuster, ils portaient collant et masque noirs, ce n'est pas là la tenue conseillée des mécaniciens?

    -Peut-être un bal masqué dans la deuxiéme ou troisiéme classe?

    -Rien de celà, je me suis renseigné mais le plus étonnant reste à venir, à un moment ils se sont affrontés et l'un a précipité l'autre dans l'une des cheminées en même temps qu'il disait "et merde" en français sonore parce que dans la manoeuvre il avait accroché son collant à une tige de fer et déchiré le fond.

    -Et l'autre ? L'autre n'a rien dit?

    -Si en effet je l'ai entendu crier "my gooooooooooooooooooooooood!"

    -Mon Dieu je vais diligenter une enquête sir Samuel.

    -Diligenter mon cher mais avec discrétion et mesure, et surtout n'en avertissez point mon épouse. En Suisse le médecin a été formel: No crime please! 


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