• La nuit nous fut bréve mais combien bienfaisante, sauf pour la petite bonne, effectivement perdue en mer, et quand je rejoins la passerelle de commandement, puisqu'aussi bien me voilà cinquiéme officier du bord, mon âme est toute imprimée d'humilité et d'un certain respect pour moi-même. Oh certes je ne compte pour rien ces fonctions subalternes "d'insaisissable assassin" que je ne souhaite point remplir du moins dans un avenir trop rapprôché, et d'abord comment s'y prendre, j'en serais bien incapable, je m'en suis ouvert à ce cher Bandonéon qui m'a d'abord encouragé dans cette nouvelle carrière:

    -Voyez vous vieille branche des assassins il en faut, de tout temps, n'est-ce pas, à mon époque j'en employais une floppée dans le clergé surtout et sur le côté "insaisissable" de l'affaire je crois sans m'exagérer pouvoir vous donner d'utiles conseils.

    Il est vrai que ce garçon peut être réconfortant, d'abord il a reçu une excellente éducation à l'antique collége de Memphis qui vaut bien notre vieille taule d'Abburton et puis il peut être de bon conseil, il n'y a que sur la question de ses pouvoirs supra naturels que je conserve quelque doute... et aussi sur le propos de l'odeur. D'ailleurs avant de le quitter je lui ai conseillé sans avoir l'air d'y accorder quelque importance:

    -Prenez donc une bonne douche vieille chose celà réveille le matin.

    J'espére ne pas l'avoir vexé.

    Sur la passerelle de commandement, notre commandant déguste son porridge en scrutant de sa vue perçante surmontée de bésicles les alentours.

    Avec le troisiéme officier John Shmuth, qui est un peu son cousin et qu'il a propulsé à ses côtés parce que la compagnie ne peut rien lui refuser, ils jaugent les icebergs et confrontent leurs mérites respectifs.

    -Celui-là me semble bien, pris comme il faut il devrait être tout à fait satisfaisant.

    -Oh Reggie et le petit là-bas est-ce qu'il n'est pas mignon?

    -Trop petit Johnnie, indigne de notre rang.

    M'apercevant notre estimé commandant me hêle:

    -Alors c'est aujourd'hui le grand jour mon cher!

    Le grand jour? Mais de quel grand jour veut-il parler? Je n'y avais point porté attention mais je me rends compte qu'il est en grande tenue, décorations nombreuses et méritées au poitrail et que là-dessus il a posé sur ses épaules bien dessinées une cape d'hermîne du meilleur effet qui le rend un peu plus régnant que d'ordinaire, on dirait le roi Arthur au plus haut de sa carrière.

    -Et en plus celà tombe le jour même de mon anniversaire, avouez que ce serait dommage de s'en priver. Vous allez me préparer les chaloupes, pas plus d'une paire de râmes sans quoi ce ne serait plus du sport et aussi...

    -Mais... mais... mais commandant, nous sômmes le 10 Avril, les... les événements sont prévus pour le 11...

    Ah comme je m'en veux tout de suite de la désillusion, de l'extrême déception que je provoque sur ce beau visage de marin.

    -Vous êtes sûr monsieur le cinquiéme officier?

    -Je suis trés affirmatif commandant.

    Trés vite il se ressaisit:

    -Eh bien soit, nous patienterons. Vous avez prévu quelque chose quand même.

    Au temps où Pump-Hurryman n'était pas encore le toqué qu'il est devenu l'anniversaire de notre commandant était toujours une joyeuse fête pleine  d'entrain et de surprises.

    -Une petite surprise? Implore-t-il.  Je ne sais pas... j'avais pensé un jeu de piste... quelque larcin étonnant ou mieux un petit assassinat, un rebondissement saugrenu comme je les aime tant. Enfin vous êtes Fantaltomass ou non? Je veux espérer que vous n'avez pas oublié mon anniversaire, dois-je vous rappeller que c'est dans les attributions du cinquiémé officier que la préparation de mon anniversaire. 

    -Euh oui... oui de fait... il n'est pas impossible que... en effet... cette nuit... mais c'est à vous de jouer sir maintenant.

    -Ah le brave garçon, je savais bien qu'il n'avait pas oublié, et bien mais nous allons nous y atteler, aprés le porridge, faut-il que je compte?

    -Ah certes oui, jusqu'à 45789 si celà ne vous décourage pas commandant.

    -Nullement, Johnnie voulez-vous compter.

    -Et l'on ne triche pas gentlemen! Improvisai-je  avant que de m'enfuir dans les coursives à la recherche d'une possible victîme.

    Je me maudis d'avoir fait preuve de faiblesse la veille, tout en détaillant les vieilles dames souriantes et avenantes qui me rendent mes salutations sans se douter des mes noires intentions. Celà vient... oui je crois que celà vient... c'est comme tout celà s'apprend, il faut seulement y montrer un peu d'application.

    Quelques minutes aprés je suis en train de m'énerver sur le cou de cette pauvre veuve Van Der Donf des Tréfileries Van Der Donf, une mienne compatriote, j'avais pensé que si je restais en pays de connaissance peut être..., bref qu'avec une belge ce serait plus facile la première fois. Que nenni la vieille flamande se défend, me griffe, se débat et quand entre deux "Aaargleux.." parvient à articuler un "Allay lieutenant une fois 'ous z'êtes don' devenu toc!Toc! " j'ai un peu honte, je le confesse... de mon inexpérience. Je reprends mon souffle, elle aussi, je reléve la tête, contrarié et je marmonne:

    -Tiens Bando ne vole pas droit aujourd'hui!

     Agaçant cette manie qu'il a de se déplacer par voie aérienne dés que j'ai le malheur de laisser le hublôt de notre cabine ouvert. Souvent ils croise dans l'éther la Féé à Moustaches qui d'aprés lui se montre particulièrement véloce en ligne droite même si elle braque mal dans les virages sur l'aile. Il tourne autour de notre batîment et atterrit juste à côté de moi.

    La veuve belge profite de ma distraction pour s'enfuir aprés m'avoir envoyé son transat à la figure.

    Ce brave Bando est tout essoufflé:

    -Ah la vache elle m'a encore gratté... dîtes donc viielle branche vos esclaves se sont enfuis, vous étiez au courant?

    -Mes esclaves? Ah les prisonniers du commandant vous voulez dire? Evadés vous êtes sûr vieille chose?

    -Naturellement je suis sûr, je viens de voir comment... mais si votre éditeur c'est ça? Il a dérobé une chaloupe avec ses collaborateurs chinois, ils l'ont mise à la mer et ils ont ramé avec les mains (mais tellement de mains comment lutter?) jusqu'à cette naute de guerre "Der Gross Malher" je pense c'est le nom qui est écrit dessus. Les allemands l'ont hissé à bord, ils lui ont fait bon accueil et lui était trés énervé... vous voyez... rutilant en Diable et il s'est mis à gueuler à l'adresse de votre collégue... mais si ce Von Plombenheim ou quelque chose comme ça qui commandait le pont:

    -Coulez-moi tout de suite ce feuilleton!

     -Aaaw êtes-vous sûr de celà vieille chose?

    -Je m'étais posé sur un canon de 50 pouces pour me reposer, J'ai entendu la chose de mes oreilles et il trépignait et désignait le R.M.S. Terribeule avec un entrain terrible et ce Von je ne sais quoi lui a dit:

    -Mais nous ne sômmes pas en guerre Herr Editor!

    -Vous rigolez c'est des pirates, et vos éperons et votre montre, et vos bottes, qui c'est qui vous les a soulevés? P'être pas z'eux? Z'avez le droit je vous dis! Et moi aussi je suis l'éditeur non ! Feu quoi merde!

    Le Plonbenheim était à moitié convaincu, il a quand même élevé une objection:

    -C'est que ma tante en chef la baronne Von Plombenheim est à bord?

    -Mais on s'en fout de la vieille... et même au contraire... comme ça vous hériterez plus vite mon vieux.

    L'argument a porté, le lieutenant a murmuré encore dans un sourire assez malsain:

    -Je vais en référer au Sur-Amiral.

     -Et vous pensez... allons donc mon cher Bando, j'imagine mal les allemands, gens de principes bombarder un feuilleton civil, nous sommes entre marins que Diable mon cher c'est difficile de...

    Je me tais quelques instants le temps d'admirer la trajectoire sifflante de l'obus de 50 pouces qui nous survole et vient s'écraser dans beaucoup de bruits sur le onziéme pont inférieur.


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  • Contrairement aux allégations de l'éditeur le collectif des auteurs n'est pas en panne d'inspiration mais en grève illimitée jusqu'à la révision de leurs conditions de travail et l'engagement pris par l'éditeur de renoncer à son projet de nous délocaliser en mer de Chine.

    -Personnellement la Mer de Chine pour un naufrage je déconseille fortement. Intervient notre commandant.

    -Mais mon commandant bien au contraire c'est l'idéal, il y a des requins en quantité en Mer de Chine ce sera autrement spectaculaire que vos icebergs à pingouins. Insiste l'éditeur.

    -Vous pourriez en faire venir ici quelques uns peut-être? Par Internet en 4° classe ce ne doit pas être d'un coût excessif.

    -Les pauv' bêtes! En plein Atlantique-nord vous rigolez mon commandant.

    -Je n'en ai point l'habitude, jeune homme.

    -Trois mois qu'on a embarqué et on a touché que la prîme d'embarquement depuis plus rien! Reprennent comme un choeur antique les auteurs. 

    -Je vous ai déjà dit que j'avais en ce moment quelques embarras, mais enfin merde vous imaginez pas ce que ça coûte un feuilleton interneto-diffusé... et une superproduction encore, rien que les 8000 connards à bord, 'faut les nourrir quoi merde!

    -Je vous en prie surveillez votre langage, jeune homme! Déclare notre commandant avec la sobre autorité qu'on lui connait.

    - De toutes façons c'est décidé, je prends des auteurs chinois et direction la Mer de Chine.

    -Sans moi jeune homme, J'ai fait onze fois naufrage dans l'Atlantique-Nord mais je ne connais pas un gentleman qui consentirait à aller s'abîmer en Mer de Chine. Et pourquoi pas dans le Yang-Tsé-Kiang tant qu'on y est!

    Vrai cet homme m'émeut quelle dignité!

    L'éditeur lui perd ses nerfs:

    -'tain si ça continue je vous mets sur un sîte indonésien!

    -Ce ne sera pas la même audience de qualité.

    -Non mais vous rigolez, j'appelle ça "lachatteabritney.com" et vous allez voir l'embouteillage mes bonshommes! 

    A ce moment Mademoiselle Shwartzgurd arrive en fond de câle où sont logés les auteurs et où se déroulent les négociations:

    -Je voudrais bien savoir comment se termine cette édifiante histoire, avoue ingénuement notre bibliothécaire, je prise particulièrement les feuilletons... maintenant s'il s'agit véritablement d'une panne... j'entends une panne d'inspiration je propose pour terminer une sorte de grande fête amoureuse et sensuelle.

    Le petit policier français venu lui aussi aux nouvelles s'exclame:

    -Une partouze... elle veut que ça se termine en partouze! Manquerait que ça! Je vais prévenir la mondaine par radio-télégraphe qu'ils nous envoient du monde!

    -Oh c'était juste une suggestion. Boude Mademoiselle Shwartzgurd. 

    Quand je pense à la petite bonne toujours suspendue dans les airs entre les deux batîments, avec la nuit qui vient, je la prends en pitié.

    Les négociations se poursuivent sur le même ton non négociable jusqu'à ce qu'arrive le Révérend Hooples qui ne comprend trop rien à la situation et propose de mettre notre commandant aux fers.

    -Et au motif mon révérend?

    -Au motif commandant que vous êtes Fantaltomass

    -Première nouvelle!

    -C'est vous même lieutenant qui me l'avez dit aprés que vous eussiez découvert son déguisement de rat d'hôtel ravaudé.

    -Mais c'est vous-même lieutenant qui me l'avez fait porter par l'entremise de votre ami égyptien! Explique notre commandant à ma grande confusion.

    -Si je comprends bien c'est la personnalité de ce Fantaltomass l'insaisissable assassin qui pose problême, les auteurs ne savent pas eux-mêmes qui il pourrait être n'est-ce pas messieurs?

    -Ma foi, révérend, on est un peu dans le flou, les veilles prolongées, l'alcool aidant, le travail sur écran, on voit double, on sait plus trop où on en est... on avait pensé que peut-être ce pourrait être le lieutenant...

    Qu'entends-je, moi Fantaltomass l'insaisissable assassin:

    -Spéculation absurde. Dis-je avec fermeté. Si je l'étais je pense que je m'en serais rendu compte messieurs... enfin il me semble...

    Mais de fait je ne suis plus aussi affirmatif, aprés tout les phénomênes de somnambulisme et de bilocation pourraient peut-être expliquer...

    -Y voyez-vous quelque inconvénient Lieutenant? insiste le révérend qui déguisé en Savonarole est assez persuasif, pourtant je trouve la force de rétorquer:

    -Je ne puis être raisonnablement Fantaltomass l'insaisissable assasssin puisque ma vocation est la marine, non l'assassinat et que je ne suis pas insaisissable.

    -Je vous donnerai des tuyaux, laissez-vous faire... me murmure l'inspecteur de la Sureté française.

    -J'ajoute que dans la cas d'une réponse favorable de votre part monsieur le douziéme officier vous prendriez sur le champ la charge de cinquiéme officier du bord.

    Christ la proposition devient bigrement intéressante! Ah il y tient à son douziéme naufrage notre commandant, maintenant savoir d'où partira le coup?

    -Bien j'y consens. M'entends-je murmurer à mon grand étonnement.

    -Fort bien la question est tranchée monsieur le cinquiéme officier et je crois à la satisfaction des auteurs? Déclare notre commandant.

    Les auteurs soulagés approuvent mais cet idiot d'éditeur tout à ses combinaisons mal nées ne veut rien entendre et il a commencé d'installer ses auteurs chinois dans une cuve à huiles lourdes désaffecté entre la treiziéme et la quatorziéme chaudière, il leur jette quelques paillasses, trois quignons et les engage à se mettre au travail sur le champ. Ce qu'ils font à la stupéfaction générale en frappant tous ensemble avec énormément de mains ( comment lutter?) pour ne point perdre de temps sur un vieux clavier clandestin:

    -Vous pourriez vous occuper de la petite bonne toujours accrochée là-haut entre les deux batîments! Dis-je inaugurant mon impérium de cinquiéme officier. 

    -Petite bonne s'en fout, cable a pété bouffée requin, important: capitaine de la jonque grand eunuque quoi faire? Me répond le chinois en chef.

    Leur interrogation laissant entrevoir un  destin sinon douloureux au moins amoindri pour notre estimé capitaine force sa réaction et son organe retentit dans ces sous-sols immenses et métalliques avec une allonge peu commune

    -Moi Regginald Horacio Shmuts en eunnuque conducteur de jonque! Fichez-moi toute cette pouillerie aux fers et vite!  

    L'éditeur proteste, menace mais il n'obtient que quelques coups de crosse de supplément et aucun régîme de faveur.

    Enfin nous voilà revenu à notre destin atlantique à la satisfaction de tous et de chacun.


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  • Communiqué de l'éditeur:

    Le R.M.S. Terribeule bien que navigant ordinairement au charbon est actuellement empanné du fait d'une absence totale de souffle sur le front ridé et naguère inspiré des auteurs. Toutes contributions permettant la remise en route du déploré transatlantique vers sa fin tragique sera la bienvenue.


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  • Mon cher journal (de bord) je ne sais plus quoi penser, c'est une telle précipitation d'événements contradictoires. Aujourd'hui, nous sommes le 8.4.1911, il était annoncé un grand bal masqué, c'était l'une des spécialités de notre commissaire de bord que l'organisation de telles festivités, à l'ordinaire il se déguisait en Roméo, et il était parfaitement ridicule en céladon bouclé et bondissant, aujourd'hui et comme tous les jours il est déguisé en desperado et il est simplement terrifiant, il toise les baronnets travestis en marquis et souléve les jupons de leur Pompadour. Je me rends auprés de notre commandant qui m'a fait appeler, toujours ces histoires de toilettes, quand j'arrive dans sa cabine, il se prépare dans son salon de bains:

    -Ne venez pas tout de suite, je ne suis pas encore prêt, vous allez pouvoir me dire votre avis, lieutenant.

    Pour me trouver une contenance, je feuillette quelques revues techniques posées sur une table: Packet-boat driving weekly et le Steamer's litterrary supplement où je découvre un article furieusement annoté intitulé: Fumbling across the ices  que l'on pourrait traduire en belge par "En tatônnant à travers les glaces." et qu'il a ponctué de "splendid ! et de "waooooh!"" tout à fait ingénus mais ce qui me glace soudain l'âme ne sont point ces commentaires d'amateur mais ce que mes yeux découvrent sur le lit du commandant et dont je livre ici le compte : un masque noir, une paire de ballerînes et un tricot de soie de la même teinte, enfin une paire de collants tout aussi sombre dont le fond est recouvert de tissu écossais. Dans l'instant et sans doute parce que mon encéphale d'ordinaire peu sollicité et médiocrement mécanisé est subitement comme électrifié, je comprends que notre commandant est en fait Fantaltomass l'insaisissable assassin!

    Trahi par l'émotion, je quitte la cabine et je bute sur Lord Evil et son domestique, à moins que ce ne soit l'inverse, qui se rendent au bal masqué des premières, ils se sont déguisés en Don Quichotte et Sancho Pança étant posé leur parfaite ressemblance on ne sait toujours pas qui fait le maître et qui fait le valet. Je croise aussi Dame Agnota Pristie qui se révéle être son époux sir Sam:

    -Un petit clin d'oeil à mon épouse, avouez que vous avez marché lieutenant?

    Mais je n'ai pas envie de plaisanter et je me réfugie dans ma cabine, malheureusement depuis que je coahabite avec ce cher Bando le lieu est devenu irrespirable aussi chaque nuit je dors dans un transat sur le pont et je me léve assez fripé et rafraîchi au matin, il fume sans trêve ses écoeurantes cigarettes égyptiennes et puis, et je le dis en toute amitié, il pue toujours autant. Je lui vole l'une de ses bouteilles de rye, il en abuse soyons franc, et me retrouve sur le quatorziéme pont au moment où passe le Révérend Hooples qui a revêtu une bure de moine pour l'occasion, il ressemble à Savonarole:

    -Comment vous trouvez lieutenant?  Je voulais savoir comment l'on se tenait là-dedans, savez-vous que c'est trés confortable! Eh bien quoi qu'avez-vous garçon? 

    Je me jette dans ses bras et lui raconte dans le détail ce que je viens de vivre avant que de conclure, dans l'hébétude où m'ont plongé l'alcool et les événements:

    -... révérend, je ne sais même plus qui je suis... aprés tout qu'est-ce qui me prouve que je ne suis pas en fait Brian O'Brien ou l'un de ces quelconques irlandais du huitiéme entrepont! 

    -Voulez-vous véritablement que je vous dise ce que vous êtes lieutenant!

    Il semble plus en colère aprés mon attitude qu'à cause de mes révélations, se mouche bruyamment dans la manche de sa bure avant de continuer:

    -Maintenant si ce que vous me dîtes là est vérifié pour le commandant j'entends, il serait préférable de le mettre hors d'état d'agir avant qu'il ne nous jette contre un iceberg un peu aiguisé!

    -Vous n'y pensez pas ce serait de la mutinerie? Imaginez que je me sois trompé, c'est ma radiation assurée du courrier des lecteurs du Times et de la fraternelle des anciens farceurs du collége d'Abburton.

    -Certes, certes, malgré tout il nous faut agir, sur qui pouvons-nous compter?

    -Il y aurait bien cet imbécile d'Humpster-Dumpster, il s'inquiéte tellement pour son bateau... et puis il y a ce cher Bando!

    -Bando? Ah oui votre... votre ami, je l'ai croisé tout à l'heure sur le onziéme pont il ne marchait pas tout à fait droit et il était déjà déguisé à onze heures du matin! Enfin il faut faire avec ce que nous avons, par exemple je serais bien saisi si nous arrivions à bon port... qu'est-ce que c'est que ça?Des passagers quittent donc déjà ce raffiot!

    Le révérend Hooples me désigne le transbordement délicat en train de s'accomplir par cable et haussière des domestiques d'un charmant jeune couple de Boston John et Viviana Pure, ils sont en voyage de nôces, ils ont fait venir leur yacht Luciferian de Boston et ainsi qu'il était prévu ils montent à son bord afin de terminer leur voyage de nôces vers les mers du sud. 

    -Ils sont charmants n'est-il pas révérend?

    -Ils ont payé moitié tarif alors? Me répond avec quelque aigreur le révérend Hooples. Joli souci d'économie.

    -Non pas répliquai-je avec ardeur tant ce jeune couple amoureux m'émeut, ils ont insisté pour régler le billet complet, il faut dire que le père du jeune homme est le banquier T-J. Ponderous.

    -Un homme de poids certainement! grince le révérend. Malgré tout ils auraient pu donner un autre nom à leur nid d'amour! 

    Je n'ajoute rien car le R.M.S. Terribeule vient subitement de s'arrêter. En plein atlantique et qui plus est en double file puisque le Luciférian nous borde, celà est peu commun et ne laisse pas de m'inquiéter, tout autant que la femme de chambre encore suspendue dans les airs et qui se demande ce qu'il se passe.

     Je vais aux nouvelles, avise le huitiéme maître d'équipage, rougeaud et furieux, mais ils le sont tous:

    -Que se passe-t-il? Une avarie aux machines?

    -Pensez-vous ce sont ces cons-là... comment déjà... les auteurs... parait-il qu'ils ont plus l'inspiration... voudraient faire un syndicat et je sais pas quoi... ah oui, ils veulent changer de classe, monter en septiéme classe...'des conneries quoi! 'te fusillerais tout ça moi! 


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  • Le 7-7-1911. "Iceberg à babord! Iceberg à tribord!" Annonce l'officier de quart, qui n'est pas Brian O'Brien puisqu'il a été mis aux arrêts aprés ses éclats de la veille.

    -Oui, bon on le saura. Marmonne notre estimé Commandant en tripotant son unique boucle d'oreille, il a perdu l'autre et celà lui fait une physionomie quelque peu boîtante, à dire le vrai  il ressemble au pirate Morgan sortant de chez sa couturière.

    Bien entendu tous nous cherchons la boucle perdue, à tribord, babord, bref sur tous les bords. Mais point de boucle et celà le rend chagrin, presqu'autant que la présence de Pump-Hurryman. Il ne quitte plus la cabîne de commandement, fait des réflexions désobligeantes, des remarques grossières et va même jusqu'à donner des conseils de navigation :

    -'oyez moi j'aurais mis un petit coup de mieux à babord! Des fois qu'on frotte le gros là!

    -Ecoutez monsieur le commissaire de bord, je fréquente des icebergs depuis mon plus jeune temps et je n' ai jamais comme vous dîtes: "frotté" l'ombre d'une seul!  Notre commandant s'emporte, ce qui est rare chez lui.

    Pump-Hurryman débouche une bouteille de Téquila, sa troisiéme au moins depuis ce matin. Il ne boit que celà, se gratte la barbe, fouille dans son caleçon, car maintenant il se proméne partout en caleçon toujours escorté par sa petite bande, une dizaine de clandestins sud-américains qu'il a grâciés, équipés, armés et qui le suivent partout quand ils ne le précédent pas de leurs regards insolents et de leurs armes menaçantes.

    -Iceberg à tribord! Iceberg à...

    -Hay una cantina senor commissario Pumpito! Gueule l'un de ses sbires . 

    -Ah non nous n'allons pas encore nous arrêter! S'exclame notre commandant, qui on l'aura remarqué ne s'est jamais exclamé jusque là, c'est dire son irritation.

    -'ma faute si vos imbéciles ont pas embarqué assez de Téquila!

    -Je vous en prie Pump-Hurryman, un peu de respect pour le personnel de bord!

    Je comprends l'irritation de notre commandant, autant ces établissements peu connus du grand public mais qui scandent les routes maritîmes sont quelques fois d'un réel réconfort moral pour le navigateur solitaire au long cours, autant de les fréquenter avec une telle assiduité me paraît une réelle incongruité pour un batîment de notre classe. Sans compter qu'ils sont le plus souvent mal fâmés et d'un entretien déplorable. J'ai moi-même contracté une pénible affection lors d'une hâlte dans l'un de ces "bouics" quand j'étais jeune aspirant neuviéme officier sur le vapeur "Lacrymonia".

    Celui-là est un vieux cargo mexicain que les tenanciers ont amarré à un iceberg assez plat où ils ils ont érigés une tônnelle, certes celà pourrait être charmant, mais au bord de la Loire, point en plein atlantique! Et puis il y a cette musique mexicaine à base de mariachis mal rasés et ces filles à peu prés nues (malgré le froid) qui dansent et se tortillent au son des guitares.

    Déplorable, vraiment!

    Malgré tout et sur l'insistance menaçante de Pump-Hurryman et de sa clique nous mettons une chaloupe à l'eau et en compagnie du Commissaire de bord  indigne et d'une douzaine de milliardaires qu'il a pris en ôtage afin d'assurer son retour, nous accostons à la Pension y cantina Hermanos y Gomez, c'est l'enseigne du lieu.

    Nos compagnons trouvent l'endroit "pittoresque" et "inattendu en plein océan un tel établissement" le marin que je suis est il est vrai un peu blasé. Le tenancier lui comprend qu'il tient là une bonne part de sa recette du mois et en allant me laver les mains et me rafraîchir aux lavatorys  je le surprends à uriner dans les bouteilles de champagne afin de regarnir prestement ses stocks.

    A mon retour la Baronne Broczxczowski des Brasseries... du même nom me propose une coupe:

    -Leur champagne n'est pas mauvais, juste un peu sucré.

    -Le pauvre homme! La fatigue sans doute devant l'affluence.

    A ce moment entre un officier allemand de la marine impériale, je ne sais ce qu'il faut en penser mais j'ai toujours trouvé agaçant cette manie qu'ont les prussiens de garder leurs éperons même quand ils servent à la mer. Celui-là fait beaucoup de bruits et celà attire l'attention de notre commissaire de bord et de sa clîque de naufrageurs.

    En nous apercevant attablés il vient à nous et se présente:

    -Hardthmut von Plombenheim 14° officier adjoint sur le cuirassier lourd "Der Gross Malher". 

    Malgré la considérable différence de grade, je lui fais bon accueil:

    -... Plombenheim? Seriez-vous parent avec la baronne  von Plombenheim?

    -Ya wohl. Je suis son neveu adjoint.

    Ce garçon est charmant et il parle un anglais décent avec un trés agréable accent poméranien. Il nous explique que le cuirassier lourd "Der Gross Malher" est mouillé un peu plus loin et qu'il ait venu faire quelques emplettes pour son commandant le sur-amiral von Shluckt.

    -... l'épicier tunisien au coin du 50° paralléle était fermé heureusement celui-là est ouvert.

    Nous échangeons ainsi quelques propos de marin, quand je remarque les regards envieux que jettent sur les éperons dorés de l'allemand, Pump-Hurryman et ses acolytes.  

    -Bien... voilà, voilà, nous n'allons pas tarder, nous avons un record de la traversée à battre n'est-ce pas monsieur le Commissaire? Dis-je avec quelque arrière-pensée.

    L'allemand sort alors de son gousset une magnifique montre en or incrustée de brillants, la consulte, fait un rapide calcul:

    -Oh vous avez bien marché, malgré votre faux départ! Il vous reste 16 heures d'avance sur notre paquebot de bataille "Kronprinz Marzel" qui est parti de Hambourg un peu aprés vous. 

    Il est diablement bien renseigné. Sa remarque me fait souvenir de ce Zeppellin qui nous a survolé quelque temps, un peu aprés notre second départ. Les allemands nous surveilleraient-ils?

    Soudain c'est une étonnante et virulente mêlée, je suis précipité à terre par la bourrasque qui a renversé notre table et quand je me reléve, je ne peux que constater que l'officier allemand git ligoté et dévêtu sur le plancher de la cantina, tandis que Pump-Hurryman et ses complices se partagent ses dépouilles jusqu'à ses bottes. 

    Dans la barque qui nous raméne à notre bord je ne peux contenir plus longtemps ma colère et j'apostrophe notre pitoyable commissaire alors qu'il boit sa téquila à même la bouteille en contemplant son butin personnel: la montre et les éperons de ce malheureux von Plombenheim:

    -Savez-vous sombre idiot que vous venez de commettre un acte de piraterie toute pure et que les allemands seraient en droit de nous poursuivre et de nous chatier sans prendre avis pour celà! 


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